SOCSA International



Instructions pour l'engagement de citoyens de @

Vu les difficultés parfois considérables liées à l'engagement des citoyens de @, la direction générale du personnel de SOCSA International a élaboré une politique visant à définir la conduite à tenir pour tous les cadres de l'entreprise, dans tous les pays, qui auront à engager des citoyens de @.

Il faut d'abord recommander la prudence. Dans la mesure du possible, lorsque les ressortissants d'autres pays peuvent être considérés comme des candidats à peu près équivalents pour réaliser le même travail, il faut les préférer aux citoyens de @, parce qu'ils s'intègrent bien mieux dans le cadre des procédures administratives valables dans les entreprises de la communauté internationale. Il est important de ne pas négliger le surplus de travail administratif causé notamment par la nécessité d'adaptations importantes par rapport à nos standards. Il faut aussi être conscient du fait que bien des difficultés imprévues risquent de surgir dans les relations de travail avec les citoyens de @.

Néanmoins aucune grande entreprise ne peut plus à présent envisager de se passer entièrement de la collaboration des citoyens de @, comme ce fut le cas par le passé. Il est devenu évident que dans bien des domaines, et notamment là où il faut de l'invention et de l'initiative, où il faut pouvoir compter fermement sur la responsabilité d'un collaborateur dans un travail complexe ou délicat, il faut recourir à eux, le profit dans ces cas dépassant largement les pertes liées aux difficultés administratives. En revanche, il n'y aurait guère de sens de les engager pour des travaux de routine par exemple, où d'autres conviendront aussi bien. La politique générale à suivre est donc la suivante : limiter l'engagement des citoyens de @ là où ils sont nettement supérieurs aux autres candidats, en évaluant la situation avec prudence.

Dans les cas où l'on a pris la décision d'engager des citoyens de @, il faut savoir que les procédures administratives habituelles seront inapplicables, et il faut recourir à d'autres méthodes. Nous insistons sur le fait que c'est inévitable. Très souvent, dans toutes nos succursales, les responsables des ressources humaines ont tenté de les convaincre de se soumettre à nos règles, sans succès. Il faut même insister pour dire que jamais personne n'a réussi à convaincre un citoyen de @ de se plier à nos règles administratives, et qu'il est donc inutile de perdre son temps à tenter de les persuader. Nous vous demandons donc d'y renoncer tout à fait.

Comme l'expérience nous a également appris que nos cadres ne parviennent pas à croire qu'ils n'arriveront pas, eux, individuellement, à réaliser l'exploit qu'ils croient bien trop facile, de ramener comme ils le pensent les citoyens de @ à la raison, au bon sens, à l'évidence même selon eux, nous avons cru bon de développer ici quelques points de leurs croyances qui les font résister à la façon universelle de voir dans le domaine de la gestion des ressources humaines. Nous résumons ici ce que nous ont constamment appris de nombreuses discussions, dans nos bureaux et ailleurs, parfois même au tribunal.

La résistance des citoyens de @ se justifie à leurs yeux par les exigences de leur honneur, comme ils l'appellent. Ils sont des citoyens libres, disent-ils, et leur liberté leur est comme sacrée. Nous sommes bien prêts à les suivre jusque là, car nous tenons aussi à notre liberté, mais nous n'en tirons pas les mêmes conclusions. Il faut savoir que chez eux, étrangement, la liberté ne leur est pas comme laissée et garantie par l'État, mais qu'elle est considérée comme une condition nécessaire de leur qualité de citoyens d'une démocratie. Cette liberté a paradoxalement des contraintes auxquelles ils doivent se soumettre, et s'ils ne le font pas, ils déchoient, perdent leur honneur, et même leur citoyenneté. Nous avons les compte rendu de quantités de discussions où nous leur objectons qu'ils ne sont donc pas libres, puisqu'ils doivent se soumettre à de telles règles, et où ils répondent par toutes sortes d'arguments difficilement compréhensibles visant à justifier le fait que c'est le contraire, et qu'on ne peut être libre qu'en respectant les exigences de la liberté. Ils y ont été éduqués, ils en ont une notion très ancrée en eux, indéracinable apparemment. Ils ont dû par diverses épreuves prouver qu'ils étaient libres pour acquérir leur statut de citoyen, et ils le perdraient s'ils se laissaient aller, comme ils le disent, à la servitude. Il ne sert à rien de leur expliquer que nous naissons libres et qu'il suffit de nous laisser libres, qu'il est contradictoire de nous obliger à le devenir, et ainsi de suite. Inutile aussi de se vexer et de clamer que nous ne sommes pas dans la servitude parce que nous avons accepté un poste dans une entreprise et que nous obéissons à notre hiérarchie. Ils sont bien capables de répondre qu'ils nous considèrent en effet comme des esclaves de nos entreprises. Nous avons même vu certains de nos cadres tomber en dépression après des discussions où ils avaient voulu s'obstiner à soutenir leur point de vue. C'est vous dire à quel point il faut éviter ces discussions stériles. Si vous croyez les mettre en difficulté en leur faisant remarquer qu'ils doivent bien obéir à leur gouvernement, ils chercheront à vous prouver que vous confondez tout, et vous perdront dans des distinctions subtiles qui vous mettront dans la plus parfaite confusion. Inutile aussi de chercher à les convaincre qu'aucune coopération n'est possible sans hiérarchie, sans des chefs qui commandent et des subordonnés qui accomplissent les ordres. Ils sauront vous faire voir le contraire d'autant mieux que chez eux on résout ces problèmes de collaboration autrement, et qu'on ne peut nier que leur système fonctionne, même si c'est de manière plus complexe et avec, à notre avis, une dépense d'énergie disproportionnée. Mais évitez même de leur dire cela, car ils vous entraîneront dans des considérations complexes qui ne feront que vous perturber.

S'il faut éviter la discussion idéologique avec eux, il est nécessaire par contre de connaître leurs convictions en ce qui concerne les relations de travail qu'il faut établir avec eux. Nous avons vu qu'ils refusent systématiquement tout rapport d'obéissance, et par conséquent toute soumission à des chefs, quel que soit le degré, et leur susceptibilité à cet égard est extrême. Inutile de chercher à leur faire admettre que d'obéir à un commandement ici et là ne leur fera aucun mal, que c'est naturel, nécessaire à la société, qu'il est exagéré de pousser leur doctrine à ce point, etc., vous perdez votre temps. Et comme vous n'imaginerez pas même qu'il y ait soumission à un commandement, là où ils en verront une, le mieux est de les laisser définir ces points eux-mêmes, même si cela vous paraît peu raisonnable.

A cause de ce refus extrême d'obéir de leur part, il faut éviter autant que possible de les intégrer à une équipe, ce qui est d'ailleurs impossible. Le mieux est de leur confier des travaux qu'ils peuvent faire seuls, sous leur entière responsabilité. S'il s'agit d'un travail en collaboration, ou bien il faut le confier entièrement à des citoyens de @ et les laisser entièrement s'organiser entre eux, ce qui évite le casse-tête de savoir s'ils doivent se commander et s'obéir ou non et allège grandement notre administration, malgré le fait que, du même coup, nous perdons tout contrôle sur leur façon de travailler. De toute manière, il faut y renoncer avec eux. C'est un des points sur lesquels ils insistent dans les contrats. Ils réclament toujours l'entière responsabilité de leur travail et refusent tout contrôle autre que l'évaluation de son résultat. S'il faut leur donner un travail à faire en commun, l'expérience nous a appris que le plus efficace est de ne traiter qu'avec un seul citoyen de @, à qui nous en confions toute la responsabilité, et de le laisser organiser entièrement la coopération, soit avec d'autres de ses concitoyens, soit avec des travailleurs du pays. Ajoutons, pour ne rien cacher, qu'étonnamment, les résultats sont d'habitude convaincants et que nous n'avons pas à nous en plaindre, bien qu'il soit très gênant de devoir traiter chaque fois cette partie du processus comme une sorte de boîte noire, dont nous ne connaissons à bien des égards que l'entrée et la sortie.

On voit que, s'ils refusent tout commandement, ils acceptent de conclure des contrats. Et il est faux de dire que nous puissions les engager ou les embaucher, puisqu'ils refusent ce type de contrat, qui implique l'obéissance. Vous vous demanderez bien sûr s'ils ne sont pas aussi obligés par le contrat, et s'ils n'abandonnent pas leur liberté de cette façon. Encore une fois, évitez ces objections, auxquelles ils sauront répondre, en distinguant totalement les contrats, dans lesquels il y a un accord réciproque entre les parties, et l'embauche, par laquelle l'une se soumet à l'autre. Vous éviterez ainsi de vous fâcher de deviner à quelque sourire de leur part qu'ils vous considèrent comme un serviteur, même si vous êtes un cadre important de l'entreprise. Le mieux est de considérer que vous n'avez strictement à traiter avec eux que par contrat, et que tout doit être pensé et formulé dans ce cadre. Il faut définir aussi précisément que possible le résultat que vous attendez d'eux, et ne discuter avec eux que de la possibilité d'y parvenir, des aménagements à accorder ou non, du prix, et leur laisser entièrement la responsabilité de remplir leur part du contrat. Bref, il faut traiter avec eux comme avec des fournisseurs extérieurs à l'entreprise. Même si vous mettez à leur disposition un bureau, des machines, des facilités de notre entreprise, c'est en tant qu'entité indépendante, en fonction du contrat, et non comme employés qu'ils les utiliseront. Il n'est pas dans nos habitudes de définir des contrats pour toutes les sortes de travaux, que nous confions à des employés soumis à nos ordres. C'est donc un effort supplémentaire qui nous est demandé dans ce cas. Heureusement, il est possible de se fier à eux pour définir les termes de façon convenable, étant donné qu'ils ont l'habitude de ces manières de faire. Vous vous éviterez donc bien des casse-têtes en leur disant aussi précisément que possible ce que vous voulez, et en les laissant élaborer le détail du contrat (à charge pour vous de vérifier qu'il correspond bien à ce que nous voulons). Cela va bien sûr exiger une série de contrats différents, étalés dans le temps, pour faire accomplir le travail d'un employé embauché pour un temps indéterminé, à disposition pour une suite encore indéterminée de travaux.

Quel que soit votre rang dans l'entreprise, évitez aussi l'attitude condescendante que vous pouvez avoir avec nos employés. Ils ne s'en formaliseront pas d'habitude, mais vous percevrez une attitude moqueuse qui vous vexera, et vos contacts en seront inutilement perturbés. Faites comme si vous les considériez chacun comme les patrons d'autres entreprises, même s'il s'agit de leur confier des travaux très simples.

C'est d'ailleurs de cette manière qu'ils règlent eux-mêmes la coopération, même dans les équipes ou leurs équivalents pour eux. En somme, à la hiérarchie du commandement, ils substituent une cascade de contrats. C'est bien plus compliqué, mais c'est ce que réclament leurs préjugés. Il leur faut cela pour se sentir libres et ne pas se déshonorer. Si vous faites l'effort de reconnaître cette étrange façon de voir, et de concevoir vos relations avec eux sous la forme de séries de contrats, nos relations avec ces partenaires pourront être profitables, ce qui importe en fin de compte.