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Religion des éveils, aussi nommée religion de la vigueur Crédo L'homme est multiple. Il est partagé entre deux tendances, s'éveiller, et dormir. Ses fatigues et les difficultés lui pèsent parfois, il perd alors sa vigueur, et cela le pousse à dormir. Au contraire, l'homme qui a envie de s'éveiller est porté par l'entrain et la curiosité. Dormir fait du bien. Mais qui voudrait ne plus se réveiller ? Or il faut vivre ou dormir, vivre ou flotter à la lisière du sommeil. L'ennemi de la vigueur n'est pas la difficulté, mais le flottement, c'est-à-dire le fait d'éviter la clarté qui mène à l'éveil. Il y a des méthodes pour vaincre les difficultés, or le flottement est l'absence de méthode. Pierre flotte, il ne veut pas s'éveiller. Cela le repose mais l'angoisse aussi : soit il s'engourdira, soit il trouvera une méthode pour se secouer, c'est l'un ou l'autre. L'être humain n'est pas fait pour toujours remettre ses problèmes au lendemain. Cherchez à vous rendre plus vigoureux – voilà le bonheur ! Le bonheur est la vigueur et l'activité des parties de notre personnalité qui sont éveillées, et la rencontre fructueuse entre celles-ci et les parties non éveillées. Nos sociétés flottent, l'époque délaisse, délègue, déresponsabilise. Qui reprendra les choses en mains ? Flotter fait du bien, dormir fait du bien. Mais nous ne voulons plus le nier : cette déresponsabilisation nous pèse, dormir ne nous satisfait plus, il nous faut reprendre les choses en mains. Allions-nous entre nous ! Cherchons ce qui nous rend vigoureux, dans notre vie, dans nos relations, évaluons tous les aspects de la société en nous demandant s'ils contribuent à nous endormir ou s'ils favorisent notre éveil, et ne laissons pas le cynique en nous prendre toute la place ! Car le cynique se croit lucide mais il dort au contraire. En effet sa vigueur ne dort-elle pas ? Et c'est lui d'ailleurs qui veut la faire dormir, parce qu'en fait son cynisme est un oreiller confortable ! Observez-vous mieux : la « lucidité cynique » vous fait taire tout ce qui remet en question votre cynisme – réfléchissez-y, portez-y attention, si vous voulez véritablement être lucides. Autrement vous deviendrez simplement complaisants – voilà ce que vous soufflent d'ailleurs certaines parties de votre personnalité, qui dorment ou qui flottent la plupart du temps. Aucune action sérieuse sans vigueur, aucune société heureuse dans le marasme du flottement. Cherchons ensemble les conditions d'une action vigoureuse, réfléchissons, chacun, à entrer dans le mouvement des éveils ! Les amis ne sont pas ceux qui ne font que rigoler ensemble. Ce ne sont pas ceux qui râlent simplement ensemble. Ce sont ceux qui cheminent de réveil en réveil, ensemble souvent, souvent aussi chacun à leur façon, avec l'appui de leurs amis. Obstacle au bonheur : ne vivre que selon les aspects de notre personnalité qui sont éveillés, et faire taire les autres ou ne pas même être très conscient de leur existence. Cherchez à pressentir, à percevoir les aspects de votre personne qui n'arrivent qu'à peine à se faire repérer ! Ceux-ci dorment entre-temps, et ne parviennent pas à vous alerter lorsqu'ils s'éveillent ! Trouvez ce qui rend vigoureux votre esprit, écoutez la musique qui vous réveille, recherchez les mouvements qui dynamisent votre corps – vous soufflent certaines parties de votre personnalité. Apprenez à vous souvenir de leur existence et à les connaître ; soyez attentifs aussi aux aspects de votre personnalité que vous avez fait taire ou qui se sont tus, faute d'avoir trouvé une nourriture adéquate. Ce qui, sans nuire au développement de la vigueur des autres, nous rend plus vigoureux, est bon. Ce qui nous assoupit sans nous préparer à nous réveiller est mauvais. Trop dormir nous engourdit peu à peu. Et l'angoisse ne peut que s'accentuer chez celui qui ne l'affronte pas, même si elle tend à demeurer sourde et à se faire oublier. Fort heureusement chacun a une réserve de vigueur en lui, parfois cachée, mais toujours présente ! Cherchons à la révéler et à lui permettre de se déployer. Cherchez à vous rendre plus vigoureux ! RitesLe moment du réveil matinal est fondamental. Nous en faisons un moment de culte, c'est-à-dire un moment à cultiver et à dynamiser dans l'esprit de notre religion. Nous prenons le temps de nous mettre dans une disposition favorable à la conscience de l'importance de cette dernière en dynamisant le moment important et symbolique qu'est le réveil. Nous nous entourons de beaux objets, d'images qui éveillent notre vigueur, nous écoutons de la musique en méditant ses effets sur nous, nous lisons des textes qui nous revigorent, etc. Il est nécessaire, pour le disciple, de déterminer les exercices qui sont utiles à son cheminement. A cette fin, il est utile de relire et de méditer le crédo au moins une fois par semaine. Problèmes centraux de la religion de l'éveil vigoureuxAu disciple comme à celui à qui le crédo de notre religion paraît parlantLa religion des éveils est une religion de l'action, qui promeut aussi, et de façon importante, la méditation. (Le débutant se rendra rapidement compte que la méditation est, elle aussi, une action, au fait qu'il aura de la difficulté à ne pas s'en voir détourné bien rapidement par d'autres types de pensées plus habituels. L'exercice et l'esprit de décision sont nécessaires ici.) Certains problèmes sont au centre des méditations qu'elle propose. Une précision d'abord : le disciple est celui qui entend se discipliner. Sans réelle discipline contraire, les religions dominantes dans un milieu peuvent difficilement ne pas dominer celui-là même en qui des forces opposées sont éveillées. Ces religions agissent sur nous depuis la petite enfance, et elles sont au principe de la majeure partie des attitudes et des réactions des gens qui nous entourent et nous influencent depuis toujours, de sorte que leur puissance ne peut être qu’énorme. Les milieux sociaux où notre religion domine sur ses concurrentes (et surtout sur les religions superstitieuses et sur l'économisme) sont beaucoup plus favorables au développement équilibré des gens qui y sont formés dès leur enfance, que les milieux marqués par le sommeil, le stress et souvent le dépit. Dans notre religion, l'ambiance est plus exigeante, et ces exigences vitales et intellectuelles nous rendent plus vigoureux. Mais ceux qui n'ont pas pu profiter des effets bénéfiques de notre religion dès leur enfance doivent pour leur part se discipliner par eux-mêmes, avec l'appui de leurs amis autant que possible. C'est donc en ce sens que nous parlerons ici au « disciple », c'est-à-dire à celui qui reconnaît en lui la valeur des principes d'une religion qui, en un sens, a toujours eu une certaine existence souterraine, en tant que chaque être humain peut retrouver en lui l'appel à l'éveil et le désir de dormir, et en reconnaître l'action également chez les autres. Nous l'appelons donc à méditer avec nous, de manière à développer cette discipline sans laquelle une religion peut difficilement trouver à faire son chemin parmi ses concurrentes. Il est fort conseillé de noter les points importants découverts dans une méditation (ou retrouvés à partir d'elle), puisque ce type de réflexion a chez beaucoup l'étrange caractéristique de tomber dans l'oubli du sommeil. De cette façon, et notamment en prenant l'habitude de réévaluer souvent tout ce qui concerne sa religion tout en s'aidant des réflexions de ses confrères, le disciple devient son propre disciple. Discipline et problèmesLe disciple et les idées et sentiments tentaculairesLes idées ont des tentacules. Celles qui sommeillent en nous ne sont pas inactives pour autant, elles ont une action en amont et en aval, au sens où elles tissent entre elles des réseaux compliqués, tout en attrapant ce qui leur convient dans la vie plus éveillée. Le disciple s'attachera donc à chercher les moyens de percevoir les signes de cette vie sourde, qui se fait en partie à la lisière du sommeil et de l'éveil, en partie dans un sommeil plus profond, et en partie dans la vie plus éveillée. Il aurait cependant tort de penser que tous les principes de la pensée humaine sont d'ordre souterrain et tentaculaire : la vie éveillée existe en chacun elle aussi, et même si les tentacules souterraines sont imbriquées dans cette vie éveillée, celle-ci peut progressivement en venir à les assimiler à son mouvement d'éveil. Et il aurait tort également de conclure de ce qui précède que c'est « en lui » uniquement que se trouvent les principes tentaculaires de sa pensée : qu'il se souvienne que nous sommes en grande partie des êtres d'habitudes, et que ces habitudes, qui sont souvent d'ordre social, concernent à la fois les réflexes, l'action, les réactions, les idées et les sentiments. Un aspect important de notre discipline consiste donc à réfléchir à ces phénomènes, en vue de faire progressivement de ces réflexions un aspect fondateur de la vie éveillée. Le disciple et l'économismeLe désir exacerbé de confort tend à tout rendre morne. La peur du mouvement existe certainement, à un certain degré, en tout être humain, mais le confort, puissance qu'on tend à sous-estimer, renforce cette peur en nous suggérant, face à tout ce qui le dérange (sentiments étranges comme désagréments), de tourner rapidement les yeux ailleurs pour retrouver l'Habituel, la Normalité, la Norme, le Confort tentaculaire. Tour cela s'accumulant petit à petit, le confort acquiert sa puissance et devient progressivement, chez celui qui se fait prendre, un véritable salut : en finir avec les événements, le mouvement, être enfin calme en un sens précis : être enfin confortable ! L'adepte doit repérer ce conflit en lui. Car si ce confort tend à lui paraître morne et tiède, ennuyeux, voire, de temps en temps, franchement dégoûtant, il lui faut admettre qu'en tant que Norme et Salut de la religion dominante aujourd'hui, lui aussi lui est soumis. L'exemple de chaque instant, le confort, la facilité à tout moment dans les choix de chacun, voilà ce qui a massivement formé ses habitudes et ses réflexes depuis toujours – dans la concurrence, heureusement, avec d'autres valeurs, que le disciple s'attachera à repérer et à tenter de renforcer si elles conviennent à sa religion. S'il ressent un dégoût, qu'il le sonde, qu'il s'efforce de le faire parler, qu'il le transforme en motif de sa religion, avant que ce dégoût ne se fasse capter par une vaine colère ou une vaine nostalgie. Qu'il se rappelle que, comme la musique, comme les loisirs, la colère et la nostalgie sont bien différentes, selon qu'elles endorment ou participent à un processus d'éveil, servent d'exutoire sans réellement dynamiser ou révèlent un principe actif porteur de nouvelles méditations vigoureuses. Par ces réflexions sa religion deviendra progressivement un principe actif de sa vie éveillée. Le disciple et la compréhension du mondeQue le disciple cherche à distinguer, dans les idées des autres, ce qui est conditionné par le désir de sommeil, et ce qui provient de la vie éveillée. Qu'il le fasse honnêtement, et non pas pour se soustraire à bon compte de l'influence d'idées qui pourraient lui faire voir qu'il dort lui-même à tel égard. A cette fin, qu'il se rappelle que son évaluation des idées des autres relève souvent de l'action assoupissante du désir de se fermer les yeux, qu'il cherche à pénétrer l'action de l'orgueil – de cette manière sa religion deviendra progressivement un principe actif de sa vie éveillée. Le disciple et la nécessité de l'évaluationIl y a des arts qui endorment, et des arts qui réveillent. Un problème important sera donc de chercher à les distinguer, et par exemple de chercher à distinguer différents types de musique : la musique qui endort, celle qui calme (en endormant cependant, ou au contraire en haussant à un niveau d'éveil plus serein...), celle qui réveille et rend plus vigoureux... Autre exemple : il y a des loisirs qui reposent, tandis que d'autres nous donnent davantage de vigueur. Une question sera donc de savoir en vue de quoi les premiers peuvent reposer. Tel loisir nous maintient-il dans l'assoupissement ou nous permet-il de reprendre ensuite nos activités avec plus de vigueur ? Et les parties de notre personnalité qui en sont revigorifiées dynamisent-elles également les autres, ou en maintiennent-elles au contraire certaines dans le sommeil ? De manière générale, ces tractations, souvent peu conscientes, que font entre eux différents aspects peu éveillés de notre personnalité, se font-elles au profit du sommeil ou de l'éveil ? Voilà le type de problèmes qu'il nous faut méditer pour éviter de nous faire simplement reprendre dans l'ensommeillé train-train quotidien. ArtsUne religion gagne à se rendre présente, concrètement, à l'esprit de ses disciples, sans quoi elle reste abstraite et n'a que peu d'effets sur eux. L'art peut avoir une influence considérable sur nous de ce point de vue, en concourant, comme la méditation, à nous rappeler ce que nous jugeons important de nous rappeler. C'est pourquoi un enjeu important de notre art est de réfléchir aux phénomènes du sommeil et de l'éveil à partir de différents procédés typiques. Des figures sont souvent utilisées : celle de celui qui dort, de celui qui flotte, de celui qui se réveille ou est réveillé. Des peintures ou des sculptures mettent en scène des personnages qui dorment, dans le calme ou dans l'angoisse. D'autres réfléchissent au phénomène du flottement (voici quelques motifs courants : on a un type de personnage qui détourne toujours les yeux et qui est peint dans différentes situations avec les yeux toujours tournés ailleurs, ou un autre qui comme l'autruche se met la tête dans le sable et la laisse là tout en continuant à marcher et à vaquer à ses occupations quotidiennes). Des figures éveillées sont fréquentes également, et par contraste sont représentées comme affrontant les difficultés de la vie. D'autres figures représentent pour leur part l'éveil et commencent à ouvrir les yeux, dans différents lieux, et, souvent, devant un miroir. Chacun a chez lui des originaux ou des reproductions des oeuvres qui lui semblent les plus parlantes. |