Guide du touriste en @La publicité
L'un des chocs les plus inévitables d'une première visite en @, c'est... Non, il est étrange de parler à ce propos d'un choc, parce qu'au lieu de se produire brusquement, il arrive souvent un peu à retardement. Vous vous promenez à travers les rues, en plein centre ville même, et vous sentez qu'il manque quelque chose. Vous êtes d'abord mal à l'aise sans savoir pourquoi. Puis subitement, il vous saute aux yeux qu'un des éléments de ce qui constitue pour vous la vie des cités, et plus encore, le signe partout de la présence humaine, manque totalement en @. Oui, c'est cela, il n'y a pas de publicité, nulle part, sous aucune forme. Et vous vous sentez abandonné, comme vide dans un espace presque inhumain. Vous vous dites que la cause de cette sorte d'ennui angoissant qui vous saisit, ce ne peut pas être l'absence de publicité, et vous cherchez autre chose. Vous pensez même trouver peut-être. Ce sont, vous dites-vous, les gens, impénétrables dans leurs attitudes, ou le style architectural, si inhabituel. Et il y a mille choses qui vous paraissent étranges en effet. Mais il faut bien revenir à l'évidence, vous vous trouvez en manque de publicité. Vous ne le pensiez pas possible, parce que vous n'aviez jamais pensé que c'était une drogue, et que vous, particulièrement, vous en étiez dépendant. Et pourtant, vous devrez bien en convenir, la publicité vous était devenue un élément nécessaire de votre milieu sans que vous vous en soyez rendu compte jusqu'ici. Partout, vous rencontriez les visages souriants et les voix sympathiques de gens attentionnés, soucieux de votre bien et qui, d'une affiche, de la radio, de la télévision, vous donnaient des conseils pour vos achats, votre santé, vos activités sportives, vos vacances, vos opportunités de vous enrichir, de trouver des amis, et ainsi de suite. Vous comprenez que vous étiez porté par toute cette attention bienveillante, maintenant que, privé de cette sollicitude constante, vous vous sentez comme orphelin, même au milieu des hommes. C'est dur, mais il faudra bien vous y faire et vous aguerrir si vous ne voulez pas tomber dans la dépression ! Le responsable de ce malheur, c'est une loi qui interdit la publicité, dans le sens où nous l'entendons, je veux dire cette publicité que nous aimons, dont nous nous délectons, ouvrant la télévision ou la radio pour le plaisir de nous en laisser charmer. Et cette interdiction concerne aussi les enseignes, notamment celles dont nous apprécions tant les jeux de lumières multicolores la nuit. Les commerces, les ateliers, les restaurants, les entreprises doivent se limiter à des enseignes relativement discrètes, sans jeux de lumières ni couleurs voyantes, selon des normes qui valent pour tous, du petit artisan au grand casino. C'est pourquoi vous pouvez vous promener dans les rues sans que votre regard soit attiré par rien d'autre que les architectures, la circulation et le mouvement des piétons. Personne ne vous interpelle par ces grandes annonces tapageuses de la publicité. Si mille signes ne vous montraient pas que vous vous trouvez dans des villes modernes, vous pourriez vous croire dans les rues de cités anciennes, où la principale animation est celle des hommes eux-mêmes. Et comme il est interdit d'imposer de la musique dans les espaces publics, la vie des @ peut vous paraître bien calme au premier abord. Mais quand vous vous serez habitué à la sobriété des rues, que vous aurez appris à vous retrouver et à découvrir l'invitation des enseignes plus discrètes, vous n'aurez pas à vous plaindre des décors colorés, attrayants, originaux qu'on peut trouver à l'intérieur des bâtiments. Car si la publicité est interdite, si la rue garde de ce point de vue une sobre esthétique, rien n'interdit aux propriétaires (le mot n'est pas tout à fait juste, mais je parle selon vos notions) de faire jouer à l'intérieur toute la magie des décors les plus baroques s'ils en ont le goût. Et parfois le contraste est frappant quand on passe certaines portes. Quant à savoir si cela vous réconciliera en vous donnant l'impression d'être davantage chez vous, ou si vous trouverez là encore une nouvelle étrangeté, cela dépend du caractère de chacun. Mais pourquoi, vous demandez-vous, a-t-on interdit la publicité en @ ? La question n'est pas simple. Il y a eu de nombreux débats, et je ne peux donner ici que les raisons principales qu'il me semble avoir perçues comme les plus généralement admises. D'abord, il est clair qu'il s'agit de lutter contre la tromperie en économie. C'est un souci constant dans ce pays. Et l'on considère que la publicité est une forme de tromperie. Parfois elle est directe, quand on vante un produit en lui attribuant explicitement des qualités qu'il n'a pas, quand on présente par exemple une crème solaire comme protégeant des rayons du soleil, alors qu'elle n'a sur ce point aucun effet perceptible démontrable. Ou bien inversement, on loue certains bienfaits réels, mais en cachant ou taisant les effets dits secondaires nocifs qui les contrebalancent. Ou encore, on affirme ou laisse entendre que le produit est le meilleur ou l'un des meilleurs de sa catégorie, sans que cela soit du tout prouvé. Bref, la publicité ment en affirmant des avantages inexistants, ou non prouvés, et en taisant des inconvénients connus. Parfois, la tromperie est indirecte, agissant par des suggestions arbitraires. Par l'image, le texte ou la parole, par le ton, on associe le produit vanté à quelque chose d'attirant, de plaisant ou de valorisé d'une façon quelconque, sans que cette association se justifie autrement que par le désir de donner par son intermédiaire une image positive au produit vanté. Et tout l'art du publicitaire consiste à agir sur les sentiments par ces suggestions, en détournant l'esprit de la considération objective de la marchandise ou du service proposé, pour y attacher directement le sentiment favorable voulu. Peu importe qu'on montre une voiture avec une jolie fille, dans un beau paysage, pilotée par une vedette, ou aux mains d'une famille heureuse, chaque fois, il s'agit juste de transposer le sentiment de l'image associée au modèle d'auto proposé. Ou tout simplement, le mensonge peut consister en le pur martèlement de l'affirmation qu'un produit a bien tel effet réel, de telle façon que la victime du procédé se met inconsciemment à imaginer que c'est ce produit seul, ou particulièrement, qui a cet effet. Il suffit de répéter partout et toujours « des dents blanches avec la pâte dentifrice X » pour que les acheteurs possibles tendent à croire que c'est la marque préférable pour maintenir ou rendre les dents blanches, alors que bien d'autres produisent le même résultat. Faut-il interdire la publicité pour de telles raisons ? Va encore pour la publicité clairement mensongère, me direz-vous, mais n'est-on pas libre de suggérer toutes les associations ? Les gens ne sont-ils pas suffisamment intelligents pour voir ces procédés et ne pas y succomber ? Faut-il retirer les jeux de l'imagination du monde du commerce ? Ne risque-t-on pas ainsi de rendre le monde bien morne ? — Ne comptez pas sur moi pour vous répondre. Je ne me suis pas donné la tâche de justifier entièrement cette loi à vos yeux. Ce livre est un guide touristique, et il me suffit de vous avertir de ce que vous allez trouver en @ et de tenter de vous donner quelques explications pour vous rendre si possible moins étrange ce qui pourrait vous choquer. A vous de juger. Interrogez les citoyens de @ si vous voulez avoir des avocats sérieux de leurs lois et de leurs mœurs. Pour ma part, je veux bien encore ajouter un petit fait qui vous intéressera peut-être. Il y a eu plusieurs essais différents dans diverses provinces du pays avant que la loi ne soit adoptée sous sa forme actuelle. Ainsi, une autre doctrine avait été expérimentée, celle de la publicité négative. Pour éviter d'interdire la publicité et l'imagination des vendeurs, on avait estimé qu'il suffirait de permettre et de favoriser une contre-publicité, dans laquelle il serait permis d'utiliser les mêmes procédés pour dénigrer n'importe quel produit. Je me souviens d'un exemple qui avait fait scandale, parmi d'autres. Qui interdit chez nous à Coca Cola par exemple, de montrer des gens sautant de joie après avoir bu leur boisson ? Or des contre-publicitaires avaient montré des chats pissant dans des bouteilles de Coca Cola, puis les buveurs de l'infâme boisson vomissant piteusement après s'en être désaltéré. Vous imaginez que la firme a protesté avec la plus grande indignation et a voulu faire un procès aux auteurs de ces dégoûtantes scènes. Mal leur en a pris, parce qu'il n'était pas difficile de montrer qu'il était aussi arbitraire de suggérer les associations favorables que les défavorables. Et non seulement la firme a perdu son procès, mais elle a donné une grande publicité à ce qu'elle voulait faire condamner. Si cette boisson jouissait peut-être encore de quelque faveur assez minime, cette péripétie a fini par l'éteindre tout à fait. Mais finalement personne n'a été satisfait de la politique mise à l'essai dans cette province. La bataille entre les publicitaires et les contre-publicitaires a pris d'immenses proportions, et cela d'autant plus que ceux qui cherchaient à louer un produit se déchaînaient aussi en contre-publicités contre ceux de leur concurrents, de sorte que, loin d'être riante comme chez nous, toute cette publicité devenait plutôt écœurante et risquait de dégoûter tout le monde d'acheter autre chose que les marques les moins connues. Les vendeurs comme les consommateurs désiraient voir disparaître ce grabuge. Et l'expérience a contribué fortement, dit-on, à mettre en évidence un autre argument contre la publicité, lié à un autre aspect des lois de @ qui influence beaucoup l'atmosphère de leur espace public, celui des dispositions contre la pollution auditive et visuelle, interdisant par exemple toute imposition de musique, de radio ou de télévision dans les espaces publics, y compris dans les magasins, les cafés, les restaurants, etc. Vous voyez bien que par là déjà, une bonne partie de la publicité se trouve aussi exclue. Bon, venons-en aux problèmes pratiques en apparence insurmontables que pose l'interdiction de la publicité. Car comment saurez-vous quoi faire, quoi acheter, où aller vous amuser sans les directions de la publicité et les bons conseils qu'elle vous prodigue ? N'allez-vous pas être perdus dans la masse des produits et services, sans guide ? Ou plutôt, n'allez-vous pas rester ignorant de toutes les bonnes choses qui vous sont offertes sur le marché ? C'est ici, cher touriste, que vous avez vraiment besoin de notre guide. Car sachez qu'il y a bien des façons de s'informer, et même très exhaustivement, sur tout ce que vous pouvez chercher sur le marché. En effet, une fois la publicité dépouillée de son côté mensonger et tapageur, il reste sa fonction de base, à laquelle on l'a réduite, l'information la plus objective possible. Mon conseil donc, et cela demandera un peu d'exercice, est de vous tourner vers le lieu où cette information est le plus aisément accessible et complète, le site internet officiel des produits et services, dont vous trouverez l'adresse ci-dessous. Vous y découvrirez, classé par catégories, explorable à votre guise grâce à des moteurs puissants et donnant des résultats presque instantanés, tout ce que le marché, au sens large, peut offrir, avec des descriptions détaillées, objectives, de chaque produit ou service, des marchandises de masse aux produits des artisans individuels, aux offres des coiffeurs et des restaurateurs. Et si trop d'objectivité vous laisse perplexes et angoissés, il vous sera aisé de trouver les sites d'associations de consommateurs qui font des évaluations méthodiques et publient les avis particuliers de leurs membres. Pour vous faciliter la tâche, je vous indique également ci-dessous les principales adresses de ces sites. Un petit mot encore. Suivez mes conseils et vous cesserez de souffrir de l'absence de publicité. Peut-être même, comme moi, en viendrez-vous à l'apprécier énormément. |