L'Amuseur des Peuples

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Grave atteinte à la liberté politique en @

Ce matin, nous sommes de tout cœur avec Ariane, une jeune femme de 28 ans, jolie, les cheveux au vent, pratiquant une forme de tennis qu'on joue chez elle et douée dans ce sport, admirée, débordant de toutes les ardeurs de la jeunesse, avec les sympathiques illusions de cet âge. Elle doit, la pauvre, avoir passé une bien mauvaise nuit après l'attaque qu'elle a injustement subie et qui lui a brutalement retiré son droit de parole et ses illusions. Elle ne se contentait pas de ses exploits sportifs. Elle était généreuse et voyait autour d'elle que tout n'était pas en ordre, c'est le moins qu'on puisse dire. Avec quelques autres, elle voulait apporter des réformes pour améliorer son pays, qui en a incontestablement un urgent besoin. Même sous les dictatures, la jeunesse n'a pas toujours perdu ses idéaux et sa vitalité, et elle croyait naïvement pouvoir s'exprimer parce que la version officielle des autorités de son pays est qu'on y vit dans une démocratie et que la liberté de pensée et d'expression y est respectée. Elle aura dû déchanter, et elle ne verra plus jamais son pays du même œil. Elle sait maintenant où elle se trouve, et c'est triste. A vous de juger.

C'est la campagne pour les élections en @. Pour ceux qui croient encore que c'est un pays démocratique, l'affaire des partis devrait les convaincre que ce n'est pas du tout le cas. Que s'est-il passé ? Un groupe de candidats à un poste de député au parlement, dont Ariane faisait partie, a décidé d'affirmer ses positions. Mais dans ce pays, ce n'est pas toléré. On les a censurés, traités comme des terroristes et on les a obligés à retirer leurs candidatures. C'était si brutal que même dans ce pays muselé sur les sujets essentiels, on s'en est indigné. Enfin, on a exprimé son indignation dans des termes assez modérés, parce qu'on imagine bien ce qui pourrait arriver à des sujets de ce régime aristocratique dictatorial s'ils élevaient trop fort la voix. Et ils avaient sous les yeux un bel exemple de la répression impitoyable de toute dissidence.

Le prétexte utilisé pour faire taire ces candidats est qu'ils contrevenaient à une loi fort étrange, qui interdit les partis, c'est-à-dire qui interdit les véritables prises de position politiques. Imaginez qu'on vous interdise de faire partie du parti socialiste, ou libéral, ou de celui qui vous plaît. Vous sauriez que vous êtes dans une dictature. Et en @ on va plus loin. Pourquoi faire dans le détail et interdire un parti dangereux, d'extrême droite par exemple, et de devoir expliquer en quoi il est trop dangereux ? On balaie tout d'un coup. Tous les partis sont interdits. Comme ça, plus de souci. Personne ne peut plus faire de la politique et contester le régime en place. Taisez-vous tous, tout simplement ! Mais là, il y a quand même un mécontentement, ça gronde, même si on ne crie pas encore.

Selon le célèbre penseur Bernard-Henri Louis, il n'est pas exclu que ce soit le début d'une révolte, et il nous faut être attentifs, et être prêts à aider ceux qui chercheraient des appuis, pour se préparer peut-être à renverser le régime. Une source autorisée me disait encore il y a peu que ce n'était pour l'instant qu'un frémissement, et qu'il y avait encore loin de là à la révolte. Il remarquait que le problème c'est que, contrairement aux autres dictatures qui ont à leur tête un dictateur personnel, chez les @ par contre il s'agit d'une dictature anonyme. Personne ne se présente comme celui qui tient les rennes. On se cache dans l'anonymat du parlement, auquel on attribue tous les actes de pouvoir. C'est très habile pour empêcher la colère de se cristalliser. Je pense qu'il faut tenir compte aussi de l'opinion avisée de mon collègue de la Chaîne Un, Pierre Dubois, qui remarque très justement que l'interdiction des partis politiques est un instrument puissant contre les révolutions, puisqu'on interdit aux gens de se rassembler autour d'une idée. A cause de cela, les @ sont atomisés, chacun de son côté, incapables de se solidariser, habitués à ne pas pouvoir compter sur les autres. C'est pire que dans des régimes à parti unique, puisque là au moins, ils ont un lieu pour se réunir et échanger, qui peut leur donner une certaine expérience au moins de ce qu'est un parti, et à partir de là l'idée d'en former d'autres et de faire naître une opposition.

Rien de plus vrai. En @, comment pourrait-il y avoir une opposition, alors qu'il ne peut pas y avoir de partis ? Et de fait il n'y en a pas. Personne ne pourrait citer même une personnalité d'opposition, pas même les spécialistes de la politique de ce pays. Au moins maintenant, je peux vous citer un nom, pour la première fois : Ariane. Soyons solidaires avec Ariane, la première héroïne de l'opposition en @, dans son courageux combat !


J.L.




Analyses

Quotidien de réflexion au cours des événements



Qu'est-ce qu'un parti ?

En se présentant aux élections comme partageant un projet et des idées politiques communes, les six membres du Groupe de Défense ont déclenché une polémique et une réflexion sur la signification de l'exclusion des partis politiques réclamée par notre constitution et inscrite dans nos lois. On sait que la commission des élections a refusé leur candidature comme contrevenant à l'interdiction des partis politiques, et que le parlement a confirmé sa décision lorsque les membres du groupe ont fait recours contre cette décision. Aussi bien la commission que le parlement ont jugé que ce groupe, même s'il était restreint, même s'il n'avait pas la structure des partis politiques qu'on trouve généralement à l'étranger, en était bien un cependant. Depuis, les esprits sont divisés, quoique la grande majorité approuve la décision du parlement et de la commission.

Liquidons pour commencer une petite dispute qui n'a guère pris d’ampleur, heureusement. Certains ont assez arbitrairement soupçonné que ce groupe avait été discriminé à cause des idées qu'il défendait. Cette interprétation est d'autant plus ridicule que l'essentiel de leurs idées n'est pas même très éloigné des opinions d'une majorité des citoyens, y compris des parlementaires. La nécessité d'être très vigilant face aux agressions directes, mais le plus souvent sournoises, de notre culture, notamment par les pays étrangers, est reconnue par presque tous, même si le danger n'est pas évalué de la même façon par tous, ni par conséquent l'importance et la nature des mesures à prendre. Surtout, cette interprétation minimise le problème réel, celui du danger d'un glissement possible vers l'acceptation des partis. Entre parenthèses, n'est-ce pas aussi l'une de ces influences néfastes qui pourraient nous venir des conceptions dominantes à l'étranger, et dont devraient vouloir nous défendre les membres du groupe et leurs sympathisants ?

Le groupe et ceux qui prennent son parti insistent pour accentuer la différence entre un véritable parti politique, selon eux, et un groupe de citoyens qui se sont rassemblés parce que, partageant un certain nombre d'idées communes, ils désirent lutter ensemble pour les faire entendre et réaliser ce qu'elles impliquent. Un parti, disent-ils, est une structure fixe, dans laquelle les individus sont soumis à une direction interne du parti, qui les dirige et décide de ce qu'ils doivent faire. Au contraire leur groupe n'a aucune telle structure, et les membres restent entièrement libres de leurs idées et de leurs décisions. Il est normal, affirme-t-on, que des citoyens qui partagent de mêmes idées se rassemblent et se soutiennent pour les faire valoir, pourvu qu'ils ne s'inféodent pas à l'autorité d'un parti. On leur reproche de s'être présentés aux élections comme membres de ce groupe, et non uniquement en tant que candidats individuels, comme c'est la règle. Mais rétorquent-ils, c'est uniquement une façon de faire connaître aux électeurs le fait qu'ils défendent les mêmes idées et qu'ils seront solidaires entre eux au parlement, s'ils sont élus. De toute manière, ajoutent-ils, les affinités de sensibilité et d'idées politiques rassemblent les parlementaires en des groupes informels qu'on peut plus ou moins identifier, si bien qu'en l'annonçant déjà aux électeurs, ils n'ont fait qu’œuvre de probité, sans introduire du tout la discipline et la division des partis dans la vie politique.

De l'autre côté, on leur répond que l'existence d'un parti politique ne dépend pas de sa grandeur, ni de sa structuration interne. Il existe dès qu'un groupe s'est officiellement formé pour chercher à défendre dans les institutions des idées communes et pour chercher à promouvoir un projet ou un idéal politique commun. Ce n'est pas parce qu'un parti serait organisé de la manière la plus démocratique, laissant rigoureusement ses membres exprimer leur opinions et les défendre comme ils l'entendent, entrer ou, surtout, quitter le parti entièrement librement, qu'il ne serait plus un parti. La cohésion affichée de leurs idées et de leurs actions suffirait à en faire un parti.

Je suis persuadé que les opposants au Groupe de Défense et à leurs partisans ont raison. Et je crois que les instances officielles qui ont eu à en juger l'ont réellement fait dans l'esprit de notre constitution et de nos lois. Cette dispute me paraît une bonne occasion de revenir aux raisons profondes pour lesquelles notre pays a décidé de refuser l'existence de partis politiques.

Que se passe-t-il dans les démocraties dans lesquelles il existe des partis politiques et surtout dans celles où ces derniers ont un statut reconnu ? Prenons le cas d'une démocratie parlementaire. Là où dominent les partis, le parlement n'est pas composé d'une centaine ou de plusieurs centaines d'individus indépendants, mais d'un petit nombre de groupes, les partis. Toute la politique se fait essentiellement dans les échanges et luttes entre ces partis, et par l'intermédiaire de leurs chefs. La plupart des parlementaires ne sont en réalité présents que pour faire nombre. Ce sont les soldats du parti, luttant pour lui en fonction des ordres des chefs, au moyen de leurs armes que sont les votes et la claque. Les délibérations dans le parlement sont principalement des échanges entre les partis, qui ont décidé de leur ligne politique sur chaque point en dehors du parlement, dans les réunions à l'intérieur des partis et les rencontres entre négociateurs des divers partis. Dire qu'il ne se passe plus rien dans les débats du parlement serait exagéré, mais ce n'est pas le lieu où les décisions politiques s'élaborent et se prennent principalement. En effet, alors que chaque parlementaire est en principe un représentant du peuple, nommé par lui, en réalité, généralement il n'a pas été nommé pour lui-même, mais en tant que membre de tel ou tel parti. C'est donc le parti qui représente en réalité le peuple ou la partie du peuple qui a voté pour lui, à travers ses membres. Quant à ces derniers, plutôt que les représentants du peuple, ils sont ceux du parti, puisqu'on a voté pour eux en partie peut-être pour leurs qualités et idées personnelles, mais surtout pour leur qualité de représentants de tel parti. Ce qu'on a choisi lors de l'élection, c'est avant tout le programme, les idées, ou l'image de tel parti, plutôt que la valeur propre du candidat, qui ne manque d'ailleurs pas de s’asseoir sur ce fait qu'il représente le parti, ses idées et son programme, en se contentant d'ajouter facultativement quelques nuances. Il s'ensuit que c'est le parti le plus fort, le plus nombreux, qui dirige en réalité le pays, tandis que les autres forment l'opposition, ou des alliés de circonstance. Et c'est ce qu'on désire dans ce genre de régime, à savoir que les décisions politiques soient prises par les chefs du parti. Dès la préparation des élections, ce sont les partis qui sont responsables de choisir et de présenter au peuple les candidats pour lesquels les citoyens pourront voter. C'est dire quelle influence gigantesque les partis jouent dans ces circonstances.

Chez nous, nous avons estimé que cette domination des partis était néfaste et contraire à la démocratie, parce que le peuple, loin de choisir ses représentants parmi tous ceux qui peuvent se présenter, n'a en fait que le choix entre les partis et les candidats qui représentent non le peuple, mais les partis. Je n'insiste pas sur les caractéristiques de notre système électoral, qui nous permet de choisir vraiment les individus que nous voulons voir nous représenter. Mais j'insiste en revanche sur le fait que le représentant pour lequel, en tant que citoyen, je vote, est choisi comme mon représentant et non comme celui d'un quelconque parti, que je n'ai jamais choisi. Et ce représentant que je choisis, c'est un individu entier, avec ses capacités, que je connais plus ou moins, ses idées, ses moyens d'agir dans l'assemblée et de juger, non comme dépendant d'un parti, mais par lui-même, selon la confiance que j'ai mise en lui en tant qu'acteur indépendant, autonome, intelligent et capable de juger des problèmes et situations qui se présenteront. C'est lui, et non son chef, qui a décidé librement de présenter sa candidature, et c'est lui que j'ai choisi pour me représenter, raison pour laquelle je veux précisément qu'il n'ait aucun chef.

Un parlement composé de représentants indépendants fonctionne tout autrement qu'un parlement constitué de partisans organisés en factions suivant chacune leurs chefs. Chaque parlementaire y est personnellement responsable de toutes les positions et décisions qu'il prend. C'est pourquoi il y a alors dans un tel parlement autant de personnes entièrement responsables que de parlementaires, de sorte que les débats sont véritablement le lieu où s'affrontent et se composent les idées et où se mène effectivement la politique du pays. Si les électeurs veulent changer l'esprit du parlement, ils n'ont pas à attendre que les partis changent. Ils élisent ceux qui partagent leur manière de voir, et qui se mettront aussitôt à agir dans ce sens, qu'ils soient majoritaires ou non (une notion qui perd d'ailleurs beaucoup de son sens dans un authentique parlement démocratique, puisque les majorités s'y recomposent perpétuellement selon les sujets).

Si l'on songe à cette différence entre un parlement représentant les partis, et un autre représentant le peuple, on voit aussitôt que la question de savoir si un groupe constitue un parti n'a rien à voir avec la structure interne de ce groupe. Dès que des candidats se présentent non pour eux-mêmes, mais comme membres d'un groupe, ils se présentent aussi comme représentants de ce groupe, et par conséquent ils ne sont plus aptes à représenter directement leurs électeurs. Bref, ils sont dès lors bien membres d'un parti, et nous avons raison de rejeter leur candidature. Il est même indispensable de le faire pour préserver la liberté des parlementaires, et par là celle du peuple.

Quant à l'argument consistant à dire que de toute façon, dans le parlement, les élus auront des affinités et constitueront des groupes informels, on voit qu'il n'est pas valable du tout. Car c'est de manière contingente, au fur et à mesure de leurs rapports, qu'ils se rassembleront, tout en restant libres de se dissocier de nouveau, de se trouver solidaires sur un point, et adversaires sur un autre, alors que si on les a choisis comme membres d'un groupe, ils sont liés à celui-ci, ce que nous voulions éviter, entre autres, en interdisant les partis politiques.

Sur le fond, rien ne montre plus l'importance de l'objectif du Groupe de Défense, de défendre la culture de @, que cet exemple, où l'on perçoit bien qu'une culture ne commence pas à se dégrader par le renversement subit de grands principes, mais par des glissements sournois qui passent facilement inaperçus si on ne reste pas vigilant, en prenant soin de clarifier sans cesse ses conceptions afin d'éviter les confusions par lesquelles s'introduisent progressivement ces perversions.

Alexandre