La Charité et le Génie



La Charité, après avoir passé la journée à réconforter les infortunés, à servir de la soupe chaude aux sans-abris et à soulager les maux des malades sans le sou, rentre chez elle pour trier et réparer les objets usagers qu’on y a déposés en son absence, dans le but de les distribuer à ses pauvres le lendemain. Chaussettes trouées qu’elle reprise, assiettes cassées qu’elle recolle, parapluie défectueux qu’elle rafistole, vieille lampe ternie qu’elle astique… Le Génie surgit, dans un épais nuage de fumée noire. La Charité laisse tomber la lampe et se réfugie sous la table, toute tremblante.

– Je suis le Génie de la Lampe. Qui es-tu, toi qui m’as dérangé alors que je soupais ?

– Ne me faites pas de mal, monsieur le Génie de la Lampe. Je ne savais pas. Je vous jure que je ne savais pas !

– Réponds à ma question. Qui es-tu ?

– Je suis la Charité, monsieur le Génie de la Lampe.

– Charité, c’est ton jour de chance, car la Renommée est venue jusque dans ma lampe pour me parler de toi. Afin de récompenser tes bonnes œuvres, je t’accorde un souhait. Parle et je t’exaucerai.

– Mais je ne sais pas, monsieur le Génie, je ne sais vraiment pas.

– Ressaisis-toi ! Qu’as-tu donc à trembler ainsi ? On dirait que c’est la première fois que tu vois un génie.

– Je n’y peux rien, monsieur le Génie. C’est plus fort que moi.

– Alors je vais t’aider, car je crois avoir deviné quel est ton vœu le plus cher. Tu me diras si j’ai bien vu.

– D’accord, monsieur le Génie.

– Que penses-tu de la disparition de la Pauvreté et de la Misère ? Ça serait pas mal, non ?

– Oh oui, ça serait pas mal. Mais…

– Mais quoi ? Parle !

– Sans la Pauvreté et la Misère, qu’est-ce que je deviendrais, moi, la Charité ? Je serais désœuvrée, monsieur le Génie. On n’aurait plus besoin de moi. Je cesserais peut-être même d’exister, monsieur le Génie.

– C’est un sacrifice qu’une âme charitable comme toi doit être prête à faire sans hésiter. Je n’en attends pas moins de la Charité.

– De grâce, monsieur le Génie, n’en faites rien ! Ne récompensez pas mes bonnes actions en me condamnant à l’inutilité, en me donnant même la mort ! Pitié, monsieur le Génie, pitié !

– Alors que désires-tu ?

– J’aime tant la Pauvreté et la Misère, monsieur le Génie, que pour rien au monde je ne veux que vous les fassiez disparaître. Elles ont le droit d’exister, comme vous et moi.

– Arrête de tourner autour du pot. Que désires-tu ?

– Ne pourriez-vous pas faire que la Pauvreté et la Misère existent pour l’Éternité, afin que je ne sois jamais privée du bonheur de leur venir en aide ?

– Je n’ai qu’une parole, hélas ! Ton souhait sera exaucé. Que la Pauvreté et la Misère perdurent et prolifèrent jusqu’à la fin des temps, pour qu’on ait éternellement besoin de toi, Charité !

Le Génie rentre dans sa lampe et la Charité sourit de contentement.